NADEGE BERAUD KAUFFMANN

HISTOIRE

SUZANNE COMBELAS ALIAS PERLE

Suzanne Combelas est née le 23 mars 1918 dans la localité de El-Borouj à environ 140 km au sud de Casablanca au Maroc, protectorat français depuis 1912. Elle fait partie de ces centaines de milliers d’Européens qui vivent dans les colonies ou les territoires contrôlés par la France. Lors de la Première Guerre Mondiale, des unités marocaines sont enrôlées et combattent sur le territoire métropolitain. Les tirailleurs et les Spahis se distinguent d’ailleurs au cours de plusieurs batailles! Mais le théâtre de la guerre se joue aussi sur le sol marocain sous l’impulsion notamment de l’Allemagne dont les dirigeants convoitent les ressources locales et financent les rebelles contre la France. 


En 1939 la famille Combelas vit dans le quartier européen de Khouribga lorsque débutent les hostilités en Métropole. Cette cité, ville nouvelle érigée au début des années 1930, se trouve à environ 120 km au sud-est de Casablanca ; elle tire ses ressources principales de l’exploitation minière dont le sol abrite d’importants gisements de phosphates. Jean Combelas, boulanger et sa femme Marie Mallea, tiennent commerce dans une région considérée comme pacifiée, mais dont l’opposition nationaliste reste importante et continue d’être réprimée par l’État Français. 

Photographie de Suzanne Combelas, extraite de son dossier militaire, Centre des Archives du Personnel Militaire Caserne Bernadotte à Pau, cote 38.918.00156

1943, l’engagement
Après la défaite de 1940, le coup est dur et le règne de Vichy triomphe jusqu’en Afrique Occidentale Française et en Afrique du Nord. L’espoir en France occupée renaît lors de la réussite du Débarquement des Alliés au Maroc et en Algérie le 8 novembre 1942, au cours de l’Opération Torch. Les soldats de l’Armée Française d’Afrique reprennent les armes contre les puissances de l’Axe. Toutefois la République exilée à Londres, avec à sa tête le Général de Gaulle et le Général Giraud, commandant l'Armée d'Afrique, ont besoin du plus grand nombre : les femmes sont également appelées à la rescousse. Il n’est bien sûr pas question à cette époque qu’elles s’engagent pour participer directement au combat! Ainsi dès le 22 novembre 1942, le Général Merlin met sur pied une unité entièrement féminine, le Corps Féminin des Transmissions d’Afrique du Nord. L’arme des transmissions tient alors un rôle capital : il s’agit de maintenir la communication entre les États-Majors en occupant des postes de radio-opérateurs, télétypistes, chiffreurs, guerre-électroniciens et secrétaires, en lieu et place d’hommes qui peuvent ainsi rejoindre les unités combattantes.
En 1943, Suzanne vit au Maroc la vie d’une jeune femme célibataire et sans profession âgée de presque vingt-cinq ans et, comme nombre de ses amis hommes mais aussi femmes, elle souhaite participer activement à la reconquête de son pays. Convaincue par l’importante campagne publicitaire en faveur de l’engagement féminin dans les transmissions, elle pense pouvoir y trouver sa place et décide de franchir le cap. Comme elle, un peu plus de mille « Merlinettes » se lanceront dans l’aventure. Ainsi le 16 février 1943 se présente-t ’elle au Bureau de recrutement de Casablanca et s’engage, le même jour que les sœurs Torlet, Élisabeth et Geneviève.

Tenue officielle de Merlinettes, Photo © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais / image musée de l’Armée

Affiche pour l’engagement des femmes au sein du CFT (Alger fin 1942 puis dans tout le pays et au Maroc)

Formation aux transmissions 
Les femmes enrôlées dans le Corps Féminin des Transmissions d’Afrique du Nord effectuent différentes missions et sont soit affectées aux centraux téléphoniques du Maroc, d’Algérie, de Tunisie ou de Corse, ou au triage postal militaire d’Alger, soit participent à la Campagne de Tunisie, d’Italie ou bien au Débarquement en Provence, soit sont intégrées à une formation pour des missions spéciales. Suzanne gravit rapidement les échelons et ses aptitudes lui permettent d’être recrutée, ainsi que trente autres spécialistes radio, pour le compte du 2e Bureau d’Alger afin d’effectuer des missions secrètes. Elle effectue tout d’abord un stage à l’École des cadres féminins des transmissions d’Hydra en Algérie en qualité d’élève stagiaire radio. Puis le premier juin, elle part à Oudjda rejoindre l’État-Major pour poursuivre son stage jusqu’au 29 juin avant de retourner à Alger. Après une formation de près de huit mois elle est nommée opératrice de 2e classe - un galon de laine rouge - le 1er octobre et affectée à la Compagnie 45/11 le 6 décembre 1943. Le 1er janvier 1944, Suzanne Combelas est promue opératrice de 1ère classe  - deux galons de laine rouge - puis chef d’équipe - galon de Sergent - le premier avril suivant. Le 1er août 1944, elle est prise en compte par la Ière Compagnie administrative des Auxiliaires Féminines de l’Armée de Terre (AFAT). 

« Emetteur-récepteur valise type 21 / MK II, pour les agents du SOE, dépt. de la Hte-Savoie Inv. : 2004.8.205  Dep74 – F. Colomban » ; Suzanne Combelas et Denise Colin, ont travaillé sur des postes semblables

Nuit du 12 au 13 août 1944, mission « Bebe II » dans le Puy-de-Dôme
À l’approche du Débarquement en Provence les opérations spéciales depuis l’Angleterre et depuis l’Afrique du Nord se multiplient. Suzanne Combelas alias « Perle » embarque au soir du 12 août depuis la base de Blida près d’Alger avec Denise Colin à bord du B 24 « Dallas Lady », serial 42-78243, type G10-NT. Comme elles neuf autres Merlinettes partiront effectivement en mission en zone occupée mais seules quelques-unes reviendront. Après leur parachutage à la Croix sainte-Anne au Col du Béal, les deux femmes sont d’abord cachées durant quelques jours dans la ferme de la famille Guilhot au Hameau des Tuiches, près du village du Brugeron. Les Guilhot sont membres du Service de Renseignement Kleber. Puis elles rejoignent Clermont-Ferrand avant de se séparer : Suzanne munie de son poste émetteur part pour Lyon avec son officier de renseignement. Elle y restera jusqu’à la Libération de la région et son travail de transmission de renseignements sur les activités ennemies dans le sud-est de la France lui vaudra une citation et une récompense.

 

Avion quadrimoteur B-24 Liberator de l'US Air Force; c'est sur un appareil similaire à celui-ci que Suzanne Combelas et sa compagne Merlinette ont embarqué la nuit du 12 au 13 août 1944, avant d'être parachutées au col du Béal (Massif Central)

Vers la fin de la guerre
Le 25 décembre 1944, Suzanne Combelas est nommée 5e catégorie – 1er échelon et participe à la Campagne de France qui a commencé après le Débarquement en Provence du 15 août. Quelques semaines seulement avant l’Armistice, le 15 avril 1945, elle passe en Allemagne, détachée à la Direction des Recherches à Berlin puis est nommée 2e catégorie – 1er échelon le 25 septembre suivant. Comme les autres engagés elle découvre une Allemagne en ruines, des survivants harassés, des prisonniers dans un état lamentable et l’horreur des camps de concentration. Le PC de la Première Armée du Général de Lattre de Tassigny s’est installé à Baden-Baden - ville allemande épargnée par les bombardements - quelques mois auparavant, avant que le siège du commandement en chef des forces Françaises en Allemagne ne s’y établisse à son tour. Les opératrices sont réparties entre Strasbourg, Offenburg, Baden-Baden, Innsbrück et Vienne. Le 11 janvier 1946, Suzanne est à son tour affectée à l’Hôpital Auxiliaire (HA) 38 à Baden-Baden puis le 27 février, à l’H.A. 24  à Strasbourg. Elle revient enfin sur le territoire français avant d’être démobilisée quasiment trois ans jour pour jour après son engagement.  

Citation à l’ordre de la Division
Décision n°1322 du 10 novembre 1945
«Jeune française au patriotisme ardent. Volontaire pour toutes les missions dangereuses, a été parachutée en France occupée pour servir de radio à un officier de renseignements en mission. Pendant les mois d’août et septembre 1944, a transmis avec calme et précision des renseignements de grande valeur sur les activités ennemies dans les régions sud-est et est de la France». 

Décorations
Médaille commémorative campagne 39-45 avec agrafe « EV » (« Engagée Volontaire ») ; Croix de guerre 39-45 avec étoile d’argent.

 

Les dix commandements des « Merlinettes » 
Le matin tu te lèveras
dès que le clairon trompettera 
Bien en rang tu te mettras mais pas en homme marcheras 
Tant que trompette sonnera drapeau français tu hisseras 
Quand à la douche tu iras ta serviette tu cacheras 
Si loin qu’un homme tu verras aussitôt tu te sauveras 
Quand colonel rencontreras au garde à vous tu te mettras 
Quand général parleras bien à fond articuleras 

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Sources et Bibliographie

 

Dossier militaire de Suzanne Combelas, Centre des Archives du Personnel Militaire CAPM Caserne Bernadotte à Pau, cote 38.918.00156
Citation à l’ordre de la Division; décision n°1322 du 10 novembre 1945

« Les Merlinettes », Capitaine Alain STOME, septembre 2013, Musée des Transmissions de Cesson-Sévigné en Bretagne
« Les femmes dans l’arme des transmissions », Général Merlin
Stèle commémorative sur le lieu du parachutage du 12 août 1944, commune du Brugeron
Hommage de Jean de Lattre de Tassigny
Article de "la Montagne", 11 juillet 2000