NADEGE BERAUD KAUFFMANN
HISTOIRE
Les Soeurs Bergerot, la Résistance en famille
Ci-contre, cliché des trois soeurs, Marguerite, Cécile et Marie-Louise Bergerot
La famille Bergerot éprouvée par les guerres
Suzanne Marie-Louise l’aînée naît le 9 février 1882 à Limoges (Haute-Vienne), Marie-Geneviève Marguerite le 23 mars 1886 et la petite dernière Élisabeth Cécile le 16 mai 1893 à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). Elles ont trois frères, dont l’un Paul Samuel André meurt en 1885, peu après sa venue au monde. Elles grandissent dans un milieu bourgeois et militaire ; leur père Jean-Marie Samuel, fils d’un notaire, est officier de l’Armée et leur mère Marie Couturier de Varsan, fille d’un homme de lettre et petite-fille d’un négociant, est sans profession. Les deux fils Bergerot feront Saint-Cyr et seront également officiers dans l’Armée de Terre.
Revenons quelques années en arrière sur le parcours de Monsieur Bergerot père. Engagé volontairement dans l’armée en 1867 à l’âge de dix-neuf ans, animé d’un esprit patriote, il intègre une école d’officier. Il connaît une première fois la guerre contre l’Allemagne, en 1870 : d’abord envoyé en Afrique, il se bat ensuite contre la coalition d’états allemands dirigée par la Prusse entre novembre 1870 et janvier 1871 . il s’illustre alors à trois reprises sur le champ de bataille avant d’être renvoyé en Afrique en 1873. Il poursuit sa carrière militaire et croise la route de Marie, alors Parisienne, qu’il épouse le 1er mai 1877.
Chef de Bataillon du 56e Régiment d’infanterie de Chalon-sur-Saône, il est nommé Chevalier de la Légion d’Honneur en 1890 et se voit attribuer un traitement annuel de 250 francs.
Fiche extraite de la Base Léonore, Légion d'Honneur attribuée à Jean-Marie Samuel Bergerot,
cote LH/190/23
Mais un premier coup dur va frapper la famille : devenu Lieutenant-Colonel au 110e Régiment d’infanterie M. Bergerot meurt à Malo-les-Bains (Nord) le 13 novembre 1899, à l’âge de cinquante-et-un ans.
La vie de la famille Bergerot se poursuit à Paris et quelques années après, le 6 février 1906, Marie-Louise épouse elle aussi un militaire, Fernand Wurtz, né le 23 mars 1877 et Lieutenant au 45e Régiment d’Infanterie à Laon. Mais c’est la guerre et la famille paie un tribut particulièrement lourd à la France lors du premier conflit mondial, à nouveau contre l’Allemagne : Fernand, l’époux de Marie-Louise et les deux frères Bergerot, Henri Édouard et Jean-Louis Victor sont morts pour la France. En effet, le Capitaine Würtz tombe dans la Marne, tué à l’ennemi à Perthes le 19 février 1915 ; le Capitaine Henri Édouard Bergerot meurt le 28 septembre 1915, des suites de blessures subies le 16, à Hersin-Coupiny, dans le Pas-de-Calais et l’année suivante, le Lieutenant Jean Louis Victor Bergerot est tué à l’ennemi le 9 avril 1916 à Béthincourt dans la Meuse.
Fiches extraites du site www.memoiredeshommes.fr
Cette succession de malheurs pousse les femmes de la famille Bergerot à rester ensemble désormais. Toujours vêtues de noir, elles porteront le deuil toute leur vie.
Rancœur et Résistance des Bergerot face, à nouveau, à l’ennemi allemand
Après la guerre, les trois sœurs vivent en région parisienne avec leur mère et ont l’habitude de passer leurs vacances à Villevieux au nord-ouest de Lons-le-Saunier (Jura) au « château », une demeure bourgeoise entourée d’un parc. Dans les années Trente, quelques temps avant la guerre, elles décident de se s’y installer, vraisemblablement après le décès de leur mère.
Rapidement, dès 1942, alors âgées de 60, 56 et 49 ans, elles entrent en Résistance. L’Allemagne a réussi cette fois à investir le territoire français et à l’occuper. Les sœurs Bergerot sont déterminées : traditionnellement patriotes, la rancœur face à l'Outre-Rhin est encore vive dans cette famille. Leur décision de lutter contre l’Occupant est loin d’être isolée dans ce coin de campagne du Jura ; les habitants des deux communes, Villevieux et Bletterans, participent activement à la Résistance. Tout commence pour elles par la visite un jour du fromager du village de Villevieux, Fernand Mariller alias « Paul », responsable local du Service Atterrissages-parachutages (SAP) qui supervise la venue des avions anglais de la Royal Air Force (RAF) sur des terrains clandestins aux alentours.
Les dames Bergerot sont appelées « les sœurs du château » et elles deviennent vite essentielles à la Résistance : elles hébergent des voyageurs en provenance ou à destination de Londres que leur adresse notamment Paul Rivière, le chef du SAP pour la région "R1"*, ainsi que des Maquisards soignés par les docteurs Michel (qui sera abattu par les Allemands le 27 avril 1944), de Lons-le-Saunier, et Perrodin. Leur demeure se trouve dans une zone de plaine, non loin de Lyon, plaque tournante de la Résistance et près du terrain Orion, l’un des plus importants des terrains clandestins. Elles ne sont pas prévenues à l’avance et ignorent qui elles accueillent. Les nuits de lune, elles sont parfois réveillées par le bruit de petits cailloux jetés sur leurs fenêtres, à l’étage. Elles comprennent alors qu’un atterrissage a eu lieu ou bien qu’un départ est prévu et qu’elles sont sollicitées pour accueillir des passagers clandestins. Au final elles abritent des Résistants plusieurs jours par mois. Jean et Germaine Carmantrand, qui habitent la ferme du château, sont également d’une aide précieuse. Tous auront accueilli notamment des aviateurs anglais et des Français, tels Yvon Morandat, Emmanuel d’Astier de la Vignerie, Henri Frenay (chef du mouvement Combat), la famille Aubrac, mais aussi Jean Moulin, à plusieurs reprises, le Général Delestraint ou encore John Brough, un aviateur anglais rescapé d’un crash, et de nombreux autres.
*Région R1 = Rhône-Alpes sans Haute-Loire, avec Hautes-Alpes et une partie de Saône-et-Loire et Jura
À Jean Moulin qui leur demande un soir « Mesdames, comment arriverons-nous à vous remercier pour tout ce que vous faîtes pour la France ? », l’une des Sœurs Bergerot aurait répondu avec humour « Nous serons nommées cantinières d’honneur de la Résistance et nous finirons nos jours à l’hôpital, comme la marraine des Poilus de 14/18 ».
Citation tirée de la Page Facebook de l’ANACR Jura
Dans son livre mémoire, Lucie Aubrac raconte des moments passés au château des sœurs Bergerot alors qu’elle et sa famille, fugitifs, étaient en attente d’un départ pour Londres à la Noël 1943-1944.
Les Bergerot ont fait partie de ces familles touchées de plein fouet par la guerre de 1870 puis par le premier conflit mondial, qui ont perdu des proches et se sont trouvé dans une grande détresse à la fois psychologique et matérielle. Lorsque leur père meurt, sa veuve ne touche plus qu'une pension de guerre. Quand elle disparaît à son tour, ses trois filles ne vivent plus qu'avec la pension de veuve de Marie-Louise.
Les Soeurs deviennent par la suite des artisans de la Résistance, des petites mains tombées dans l'oubli comme tant d'autres après la guerre, et qui ont terminé leur existence dans un relatif dénuement. Seul le couple Aubrac leur ont rendu visite, permettant de garder en mémoire leur action. Geneviève et Paul Rivière les ont également évoquées à plusieurs reprises au cours de leurs conférences après-guerre et ont gardé des liens épistolaires avec Cécile, ce qui nous permet de pouvoir nous souvenir de ces trois femmes à la générosité exemplaire. Lors des obsèques de celle-ci, la cadette, en 1977, Paul Rivière, dans son discours rendit hommage aux Sœurs Bergerot et à leur action menée dans leur « château » de Villevieux.
Plusieurs décorations leur furent décernées : les Anglais leur attribuèrent un laurier d’argent et les firent membres à vie de la « Royal Air Force Escaping Society ». De l’État français elles reçurent la médaille de la Résistance avec Rosette et en 1977, alors que les deux aînées étaient déjà parties, Cécile fut distinguée Chevalier de la Légion d’Honneur, quelques semaines seulement avant sa disparition.
Certains diront "Il était temps!" et a lire leur histoire, on pense indubitablement qu’elles méritaient une bien plus grande reconnaissance de leur pays et de leurs concitoyens. Pourtant d’un caractère humble, elles affirmaient qu’elles n’en demandaient pas tant :
« Pour ces trois femmes, ouvrir la porte de leur domaine, donner à ces pourchassés l’illusion d’une existence sereine, fut-elle fugace, les payait de toutes leurs peines ».
Extrait d’un article non signé « Le château de ces Trois Demoiselles »,
paru dans « Gens de la Lune » n°106-107, juillet – août 1966.
Ne les oublions pas !
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Sources
Base Léonore, notice Cécile Bergerot, cote 19800035/1416/63635
Archives Départementales Haute-Vienne, registres naissance, cote 3 E 85 / 294, acte de naissance de Marie-Louise Bergerot
Archives Paris, 15e arrondissement, mariage Bergerot – Würtz 1906, cote 15M191
Base Léonore, Jean Marie Samuel Bergerot, cote LH/190/23
Mémoire des Hommes, fiches pour Fernand Würtz, Henri Édouard et Jean Louis Victor Bergerot, morts pour la France
Bibliographie
Livre mémoire de Lucie Aubrac, « Ils partiront dans l’ivresse », 1984
Extrait du mémoire de Lucile Gaubert, 2015-2016, UFR Temps et Histoire Lyon 2, ss dir. De M. Douzou (Science Po Lyon)
Article « Le château de ces Trois Demoiselles », non signé, paru dans « Gens de la Lune » n°106-107, juillet-août 1966
Article du Progrès 10 octobre 2015, « Les sœurs Bergerot, héroïnes de l’ombre ne seront pas oubliées » https://www.leprogres.fr/jura/2015/10/10/les-soeurs-bergerot-heroines-de-l-ombre-ne-seront-pas-oubliees
voir résistance jurassienne sur FB https://www.facebook.com/346791859086610/posts/949735762125547/
Plaques commémoratives sur mur du château et cimetière :
https://www.geneanet.org/cimetieres/view/6285709
https://www.geneanet.org/cimetieres/view/6285708
Généanet : généalogie Bergerot https://gw.geneanet.org/brestlgk?n=bergerot&oc=&p=jean+marie+samuel