NADEGE BERAUD KAUFFMANN
HISTOIRE
Geneviève Georgette Louise Devilliers alias Jannick,
de secrétaire du réseau Combat à cheffe d'organisation
Avant la Résistance
Geneviève Georgette Louise Devilliers naît dans une famille de condition modeste le 15 février 1920 à Auxerre (Yonne). C’est en avril 1939, à la veille de la guerre, que la jeune femme épouse Raymond Fassin un instituteur âgé de vingt-quatre ans. Leur père respectif a été blessé lors de la Grande Guerre et il est probable qu’ils aient conservé une certaine rancœur à l’égard de l’Allemagne. Des milliers de Français, touchés par la blessure ou la mort de l'un ou de plusieurs de leurs aïeux lors de combats épouvantables, se trouvent dans le même état d'esprit. « Plus jamais ça ! » clamait-on alors avec effroi. Pour certains la paix devenait préférable, à n’importe quelle condition. Pour d’autres cependant, beaucoup moins nombreux, la Résistance était de mise. Ce sera le cas pour les époux Fassin : jamais ils n'auraient pu imaginer que, en quelques années, ils deviendraient des acteurs essentiels de la Résistance!
Quand le conflit éclate Raymond est mobilisé sur la Ligne Maginot avant d’être affecté à la base aérienne de Tours en janvier 1940, où il suit une formation d’observateur aérien. Il s’entraîne sur des avions bombardiers tels que le Potez 25, le Potez 540 ou encore le Bloch 200.
Geneviève Georgette Louise Devilliers dans sa jeunesse
En juin de la même année, en pleine Campagne de France et peu avant l’Armistice, il décroche son brevet. Sur le front, tout s’enchaîne très vite : en quelques semaines l’armée française est balayée par les troupes du Reich. Le Maréchal Pétain prononce un discours le 17 juin 1940 appelant à cesser le combat … Pour beaucoup de membres de l’Armée de l’Air, prêts à poursuivre le combat depuis l’Afrique du Nord, de tels propos passent très mal. Raymond refuse de rester les bras croisés et rejoint immédiatement le flux des combattants - dont de nombreux Polonais - qui fuient l’avancée allemande, au port de Saint-Jean-de-Luz d’où il embarque pour l’Angleterre. Il lui est impossible d’emmener sa femme qu’il est contraint de laisser en France. Geneviève se trouve alors à Entraygues-sur-Truyère (Aveyron), où, après avoir été employée au cadastre, elle travaille comme secrétaire à la construction du barrage. Le secteur se trouve en zone libre et il y règne une certaine hostilité au régime de Vichy. Madame Fassin a peut-être su que son mari était arrivé à bon port, mais elle ignore certainement que le temps de son absence, il est devenu membre des Forces Aériennes de la France Libre (FAFL) et s’entraîne à œuvrer dans la clandestinité, au renseignement, au maniement des armes et au sabotage.
Raymond Fassin
La vie continue malgré tout et les époux restent ainsi séparés durant de nombreux mois. En septembre 1941 Raymond intègre l’État-Major particulier du Général de Gaulle et rejoint les services secrets français connus sous le nom de Bureau Central de Renseignement et d’Action (BCRA). Dans la nuit du 1er au 2 janvier 1942 il est parachuté avec Jean Moulin et Hervé Montjaret dans le sud, au-dessus des Alpilles. Puis il relie Lyon après avoir été nommé officier de liaison de la France Libre auprès du mouvement Combat. Il devient « Sif *» et parvient à contacter son épouse, à qui il demande de le rejoindre dans la lutte.
*Sif = nom commun, terme d’origine arabe qui désigne la partie sommitale des dunes de sable ; également un nom propre, nom de la déesse nordique épouse de Thor
Geneviève Fassin alias Jannick, Sénateur puis Galvani bis
C’est ainsi que dès mars 1942 Geneviève abandonne son emploi civil et devient secrétaire pour le même mouvement, auprès de son chef, Henri Frénay. Un certain Paul Rivière, dont elle va bientôt faire la connaissance, est « Sif bis », l’adjoint de son mari.
Peu après la création du Centre des Opérations de Parachutage et d’Atterrissage (COPA) en janvier 1943 et la nomination à sa tête de Bruno Larat, Madame Fassin devient son assistante. Le mouvement œuvre en zone sud afin de réceptionner les parachutages clandestins d’agents, de courrier et de matériel organisés par la Résistance conjointement avec les services secrets basés en Angleterre puis en Afrique du Nord, et acheminés par des avions des armées de l’air anglaise et américaine. Au cours de ces opérations elle travaille à plusieurs reprises avec Paul Rivière et notamment les 15-16 juin 1943. Cette nuit-là un avion bimoteur Lockheed Hudson piloté par Hugh Verity, du squadron 161 de la Royal Air Force britannique (RAF), est en route pour Feillens (Ain). Peu avant côté français, les hommes de l’équipe de Bruno Larat ont pu entendre ce message sur les ondes de la BBC : « Écoute mon cœur qui pleure ». Jannick se rend avec eux sur le terrain « Marguerite », accompagnés des passagers qui doivent embarquer à destination de l’Angleterre. Parmi eux Henri Frenay pour Combat ; Maurice de Cheveigné un jeune radio au service de Jean Moulin ; Messieurs Fassin et Rivière, ce dernier partant en formation afin d’être homologué par la RAF et pouvoir superviser seul de futures opérations clandestines.
Paul Rivière alias Sif bis, l'un de ses nombreux pseudonymes
Il fait très sombre malgré une lune presque pleine et l’appareil britannique ne parvient à se poser qu’au troisième essai. Le débarquement et l’embarquement ne prennent que quelques minutes mais les nuits sont très courtes en juin. Afin d’éviter de franchir les côtes françaises parsemées de dispositifs anti-aériens et ainsi de constituer une cible de choix, l’avion devra faire route vers Alger puis Gibraltar avant de rejoindre Londres. Au cours du voyage, Raymond, qui sait peut-être déjà qu’il ne reviendra pas dans la région, conseille à Paul de proposer à Jannick d’être sa secrétaire. La jeune femme a démontré de nombreuses aptitudes dont une grande capacité d’organisation et un fort caractère ; elle sera à la hauteur de cette tâche.
Group Captain Hugh Verity, pilote de la Royal Air Force durant la Seconde Guerre mondiale.
Il effectua de nombreuses opérations spéciales au sein du Squadron 161 et atterrit à de multiples reprises notamment sur des terrains clandestins de la plaine de l'Ain, aux commandes d'avions bimoteur Hudson ou monomoteur Westland Lysander.
Avion bimoteur Lockheed Hudson, utilisé notamment lors d'opérations spéciales en territoire occupé, au cours desquelles il se pose sur un terrain clandestin afin de débarquer et embarquer agents et matériel
Madame Fassin ne reverra jamais son mari : il ne revient en France qu’en septembre, promu délégué militaire régional pour le nord du pays. Arrêté à Paris le 2 avril 1944, il mourra en déportation au début de l’année 1945.
Jannick, de Secrétaire de la zone « R1 » à chef d’une organisation par intérim
Le 22 juin 1943, au lendemain des arrestations de Caluire, notamment celles de Jean Moulin et de Bruno Larat, la Gestapo perquisitionne l’appartement de Madame Fassin et le Bureau du COPA. Fort heureusement elle n’y est pas présente à ce moment-là. Jannick, qui dirige les opérations en l’absence de ses chefs, est fort occupée et se trouve très souvent à l’extérieur. A la suite de cette alerte Paul Rivière, qui est revenu d’Angleterre en catastrophe avec toutefois son accréditation en bonne et due forme, la recrute pour gérer le secrétariat de la zone R1 (région Rhône-Alpes sans la Haute-Loire avec les Hautes-Alpes et une partie de Saône-et-Loire et du Jura) du nouveau Service Atterrissage Parachutage (SAP) créé en août 1943 en lieu et place de la COPA.
La région R1 où oeuvrent Geneviève Fassin et Paul Rivière correspond à la région Rhône-Alpes sans la Haute-Loire, avec les Hautes-Alpes et une partie de Saône-et-Loire et du Jura
Geneviève est d’abord radio-opératrice et s’occupe bientôt de tout le codage pour le groupe, tandis que Henri-Auguste Devilliers, alias Esquimau, son oncle paternel employé aux postes et télégraphe, assure la réception de l’ensemble des câbles de l’organisation en provenance de Londres. Puis elle se voit confier une partie des liaisons avec Jean Triomphe et les chefs d’opérations départementaux. Elle participe activement aux opérations clandestines et a pour mission d’acheminer sur les terrains des agents ou personnalités en partance et de prendre en charge ceux qui viennent d’arriver. Elle effectue également un contrôle des déplacements des agents de liaison. Le bureau de la SAP est préservé et son emplacement reste secret : il se trouve désormais rue de l’Abondance dans le troisième arrondissement de Lyon, dans l’appartement même où vivent Geneviève et Paul.
Les missions clandestines s’enchaînent avec plus ou moins de réussite jusqu’au jour où un incident se produit au cours de l’opération « Union » sur avion Hudson, la nuit du 8 au 9 février 1944 près de Bletterans (Jura). L’appareil du Squadron 161, malgré l’expertise de son pilote le Lieutenant John Affleck, s’embourbe à l’atterrissage. Pourtant Paul Rivière a encore vérifié le terrain Orion la veille et il n’y avait rien d’anormal. « C’est la faute à pas de chance ! » comme le disaient les Anciens : le dégel a commencé peu après l’inspection transformant le terrain en un immense bourbier. Les sept passagers et l’équipage sont indemnes mais il va falloir réagir ! Et vite car le danger n’est jamais très loin. Contrairement au pilote qui souhaite brûler le Hudson et disparaître rapidement, Paul Rivière veut absolument sortir l’avion de la boue afin qu’il puisse repartir. Mais l’opération va durer deux longues heures, au cours desquelles des villageois de plus en plus nombreux vont venir aider l’équipe. Pour sécuriser le décollage, le pilote refuse d’embarquer plus de quatre passagers : Raymond et Lucie Aubrac, leur fils et un pilote anglais, John Brough, rescapé d’un crash qui s’est produit quelques mois auparavant. Ce dernier va faire un rapport salé sur l’expertise et la décision de Paul Rivière au cours de cette nuit.
La sanction tombe et elle est sévère : Paul se voit retirer sa licence RAF. Il demande à retourner à Londres afin de s’expliquer et on le lui accorde. Il repart donc la nuit du 3 au 4 mai depuis Manziat (Ain) et reste environ un mois dans la capitale londonienne pour se justifier et obtenir sa réhabilitation. Il y rencontre de Gaulle et la chose est réglée mais il ne peut pas revenir immédiatement à cause des opérations du Débarquement du 6 juin. Comme d’habitude et de manière officieuse, Jannick assure le déroulement des opérations et le contrôle du réseau en son absence.
« Nous avons eu de grosses difficultés à rassembler les passagers nécessaires pour le premier juin, ceci était dû à la difficulté de circuler à la suite des divers bombardements de voies ferrées. Mais depuis cette date, la presque totalité des partants portés dans vos listes de priorité sont arrivés et nous avons beaucoup plus de gens sur les bras que nous pourrons en faire partir »
Extrait d’un courrier du 4 juin 1944 adressé par Jannick à Paul Rivière alias Marquis, qui détaille certaines difficultés et montre que Geneviève a pris en main le fonctionnement du SAP.
Dans la nuit du 7 au 8 juin 1944, Paul Rivière revient enfin, parachuté sur le terrain Métacarpe (Saône-et-Loire). Jannick et Robert Guyon sont là, malgré les nombreuses embûches qu’ils ont rencontrées en chemin.
« Dans la nuit du 7 au 8 juin 1944, elle réussit le tour de force de faire seule plus de 100 kilomètres en voiture avec un poste de radio-guidage à travers les barrages de la police et du maquis, pour aller diriger un parachutage qui ramenait en France le délégué militaire national, le chef d’opérations de la zone sud et des documents d’une importance considérable ; elle galvanisa l’équipe dont la confiance était fléchissante, les entraîna sur le terrain elle-même et obtint un succès complet »
Extrait de l’exposé circonstancié et détaillé des faits ayant entraîné la proposition d’élever Madame Rivière au rang de chevalier de la Légion d’Honneur, daté du 10 mai 1945
L’expédition vers Métacarpe
L’épopée mérite d’être contée.
La nuit du 7 au 8 juin 1944 va en effet être assez compliquée pour Jannick. Le message diffusé par la BBC « La règle n’est pas juste » confirme la venue de l’avion avec Paul Rivière à son bord le soir-même. Il s’agit d’une phrase liée au terrain « Métacarpe » situé à l’ouest de Gueugnon (Saône-et-Loire) ; toutefois, à la suite d’un embrouillamini, il s’agit aussi du code correspondant au terrain « Manille », situé en Savoie. Tous sont surpris et certains sont sceptiques pour ce qui est de Métacarpe ; Paulette, leur correspondante locale leur a affirmé que ce terrain ne serait jamais utilisé par la RAF. Une partie de l’équipe de Lyon et d’autres responsables SAP vont donc partir pour la Savoie. Pourtant Jannick, qui assure l’intérim comme responsable de la SAP depuis le départ de Paul et commence à avoir une certaine expérience, est persuadée elle que le parachutage aura lieu au-dessus de la Saône-et-Loire ; la destination est davantage propice à une mission durant ce mois de juin où les nuits sont courtes. Elle est déterminée à prendre la route du nord même si elle ignore l’emplacement exact du terrain et même si cela comporte de nombreux risques !
Nous sommes en effet le 7 juin 1944 au soir ; l’armée d’Occupation est en alerte car le Débarquement sur les plages normandes a eu lieu la veille. La Gestapo et la Milice elles aussi veillent au grain en traquant les Résistants et de nombreux contrôles sont à craindre sur un trajet d’environ 150 kilomètres… Rapidement Jannick trouve un véhicule et un chauffeur grâce à un ami. Elle fournit elle-même l’essence, un bien précieux alors hors de prix, et le trajet se déroule très bien entre Lyon et Villefranche-sur-Saône. Puis, subitement, c’est l’accident ; la voiture percute le vélo d’un certain Boniface, qui était ce soir-là « pris de boisson » et zigzaguait sur la route. Geneviève et son chauffeur prennent le temps de l’emmener à l’hôpital avant de reprendre la route pour Varennes-le-Grand, un peu plus de 80 km au nord. Il s’agit de récupérer sur le trajet Marcel Boucassot, un responsable du SAP. Mais le secteur est particulièrement dangereux : deux Allemands ont été tués quelques jours auparavant et un couvre-feu a été imposé à la population locale. Jannick parvient tout de même à trouver une amie résistante qui lui indique que Boucassot a pris le maquis non loin de là. Elle convainc son chauffeur de l’y emmener et ils finissent par le débusquer. Après discussion avec les gens du maquis une autre voiture leur est prêtée. La tension était forte et c’en était trop pour le premier chauffeur qui venait de craquer et souhaitait rentrer à Lyon.
Il est près de 22 heures lorsque la voiture avec Jannick et Marcel Boucassot à son bord reprend la route en direction de Saint-Gengoux-le-National situé à une vingtaine de kilomètres vers le sud-ouest. Ils y retrouvent Robert Guyon, un autre responsable SAP, sans aucune difficulté cette fois. Une cinquantaine de kilomètres seulement les séparent de Gueugnon. Au cours du trajet les deux hommes énoncent leur scepticisme quant à la réalisation de l’opération sur Métacarpe et sont préoccupés par le peu d’armes très légères dont ils disposent. Mais Jannick refuse d'abandonner maintenant alors qu'ils sont si proches de leur destination finale. Ils ignorent encore le lieu exact du parachutage. Ils arrivent dans une commune endormie, et il leur faut trouver un certain Thévenet susceptible de les conduire. Ils frappent à la porte de l’hôtel du Commerce et interrogent la patronne. Mais celle-ci, apeurée - et on le comprend ! -, répond par la négative à toutes leurs demandes.
En désespoir de cause, ils décident de rouler au hasard aux alentours et l’œil aiguisé, ils parviennent au hameau de Soulcy où, dans un pré, ils distinguent des phares camouflés. La détermination et le sang-froid de Jannick ont payé : ils ont trouvé Métacarpe ! D’ailleurs l’avion anglais se fait déjà entendre. Un dernier problème d’ordre technique les inquiète : le S Phone (dispositif radio à deux voies, inventé a priori au sein des services secrets britanniques, émettant une onde dans un cône ascendant presque indétectable par l’ennemi) de Madame Fassin reste muet alors même que tous distinguent clairement le ronronnement des moteurs de l’appareil. L’équipe au sol décide d’émettre les lettres code avec les lampes et cela fonctionne : l’équipage de l’avion les a bien repérés et largue enfin les containers, les colis mais aussi les quatre agents tant attendus qui se signalent une fois au sol par des appels lumineux. Le dénommé Thévenet, finalement prévenu par la patronne de l’hôtel du Commerce, arrive sur ces entrefaites. Il prévient l’équipe que les containers, qu’il a vu tomber, sont vraiment éparpillés un peu partout y compris dans rivière Arroux et au-delà, ce qui risque d’en compliquer le ramassage et l’évacuation ! Les quatre arrivants sont rapidement emmenés par Thévenet à la ferme des Chaussin : il s’agit de Maurice Bourgès-Maunoury alias Polygone, qui s’est foulé une cheville, Paul Rivière, Jean Rosenthal alias Cantinier et un Américain, Léon F. Ball. Les fils de la ferme vont passer la nuit en barque afin de pouvoir récupérer le matériel tombé dans l’Arroux. Peu après, Jannick prend déjà le chemin du retour vers Lyon avec trois des parachutés comme passagers. Cantinier Thévenet se charge d’emmener Cantinier avec Robert Guyon. Ce dernier est déposé à Saint-Gengoux-le-National, d’où il était parti. Les deux autres poursuivent jusqu’à Mâcon. L’opération s’est bien déroulée malgré les embûches rencontrées lors du trajet aller et aucune alarme n’a été donnée, alors que l’opération s’est déroulée à seulement quelques encablures de la ville de Gueugnon. Thévenet sera tué dans une embuscade quelques jours après au cours d’une autre opération.
Le groupe SAP assure ses missions jusqu’aux derniers jours d’août 1944, quand débute la libération progressive de la région.
Après la guerre, les difficultés du retour à la vie « normale »
La période après-guerre est difficile pour Geneviève Fassin et Paul Rivière : clandestins pendant le conflit, ils ne reçoivent pas d’aide après et doivent se reconstruire une identité, se réadapter à la vie civile. Le moral est au plus bas et beaucoup de leurs proches ont disparu.
Geneviève vit toujours rue de l’Abondance dans l’appartement clandestin qu’ils ont réussi à conserver tant bien que mal. Ils sont toujours aussi proches, vivent ensemble et veulent se marier mais le sort de Raymond est encore trop incertain. Ils choisissent d’attendre la confirmation de sa mort pour officialiser leur liaison. C’est chose faite en 1946 : il est en réalité mort le 12 février 1945 en Allemagne. Geneviève épouse Paul Rivière le 9 novembre 1946. Ils auront quatre enfants : Jean-Marie, Jacques, Françoise et Claude Alexis.
La paix revenue et la reconstruction en marche, les époux Rivière ont du mal à trouver du travail et ce malgré leur force de caractère, leurs compétences démontrées et l’expérience acquise durant la guerre ! Avec quelques anciens résistants comme eux, dont Jacques Chaban-Delmas et Maurice Bourgès-Maunoury, ils décident de créer l’Amicale d’Entraide des Anciens Officiers chargés de Missions Action et de leurs collaborateurs, plus connue sous le nom « Amicale Action » avec pour Président d’honneur le Général de Gaulle. L’association, dont Geneviève est secrétaire générale, apporte entraide et soutien aux familles ayant perdu un proche résistant lors d’une mission. Le groupe se dote d’un journal, « Le mot de passe » puis « Gens de la lune ». Le couple participe assidûment aux commémorations pour rappeler leur rôle, celui de nombreux anonymes et mettre en valeur leurs actions résistantes. Parfois ils viennent en aide financièrement à d’anciens résistants qui ont hébergé à leurs risques et péril des clandestins confiés par le SAP. C’est le cas notamment de Cécile Bergerot qui a œuvré à Villevieux dans le Jura et avec qui Geneviève entretient une correspondance régulière. Elle est d’ailleurs intervenue auprès du préfet du Jura afin de soutenir sa demande de nomination dans l’ordre de la Légion d’Honneur.
Malgré ses démarches, Paul Rivière ne parvient pas à reprendre son métier d’enseignant et s’oriente à contrecœur vers une carrière militaire. Il est nommé inspecteur des Armées par Jacques Chaban-Delmas et participe à la création du parti du Rassemblement du Peuple Français (RPF). Après avoir été liquidateur général des réseaux Actions, il part pour l’Indochine de 1953 à 1955 tandis que son épouse et ses trois enfants demeurent en France, dans une maison louée à Versailles. Cette période difficile pour Geneviève prend fin au retour de Paul. Il est ensuite affecté à Constance en Allemagne jusqu’en juin 1956 où toute la petite famille peut cette fois le suivre. S’en suit une mission de quelques mois en Algérie durant laquelle son épouse se retrouve à nouveau seule avec ses trois enfants. Ils sont réunis en janvier 1957 lorsque Paul est nommé attaché militaire auprès de l’Ambassade de France au Japon jusque fin 1959. Leur quatrième enfant, Claude Alexis, y verra le jour, en 1958. Ils rentrent à Versailles puis, rapidement, Monsieur Rivière retourne en Algérie comme chef de la sécurité militaire pour Alger et le Sahara jusqu’en 1962. Sa famille ne peut le rejoindre qu’à l’été 1961 ; leur appartement est situé à Bab-el-Oued au pied de la Casbah. La période est alors compliquée, la présence française en Algérie étant de plus en plus contestée et combattue. Paul est la cible d’au moins trois attentats - du FLN comme de l’OAS - dont il se tire sans dommage. Les Rivière sont sous la protection de gardes armés.
Ce qui n’empêche aucunement Geneviève, qui a déjà une certaine expérience de la clandestinité, de se rendre incognito dans la Casbah alors interdite aux Européens. Cachée sous un voile et accompagnée de sa femme de ménage, elle se débrouille pour apporter des vivres et des médicaments aux plus démunis.
Démobilisé en 1962, alors que la guerre d’Algérie touche à sa fin, Paul et sa famille reviennent en France. Il se lance en politique avec succès et est élu député gaulliste de la Loire jusqu’en 1978. Malgré des problèmes de santé et notamment une attaque cérébrale qui le handicape sérieusement, il est aussi maire de son village natal de 1963 à 1981. Quant à Geneviève, elle ne chôme pas. Soutien de son mari pour l’aider dans sa rééducation, elle lui réapprend à parler, lire et écrire. Elle est par la suite, au début des années 1970, chargée de mission au Cabinet du Premier Ministre Chaban-Delmas, à Paris. Elle s’occupe de la gestion des dossiers de liquidation des membres des réseaux qui atteignent l’âge de la retraite. Geneviève Rivière meurt le 6 février 1996 à Montagny dans la Loire et Paul en décembre 1998.
Possédant de nombreuses archives, sur les agents et sur les 200 opérations de la SAP recensées pour la région R1, les époux Rivière ont souvent pensé à écrire l’histoire du mouvement et à décrire leurs actions. Ils ont même commencé la rédaction de quelques pages mais ils n’ont pas finalisé ce projet. Leur fonds, disponible à la consultation, a été légué au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon.
Décorations de Geneviève Georgette Louise Rivière née Devilliers
Geneviève Rivière reçoit la médaille de la Résistance française avec rosette (décret du 24 avril 1946- La médaille de la résistance avec rosette a été attribuée à 4441 personnes).
Chevalier de la Légion d’honneur en 1946, le motif de la proposition insiste sur son dévouement comme résistante et sur son sang-froid lors de cette nuit du 7 au 8 juin 1944.
Elle sera nommée ensuite officier de la Légion d’Honneur, puis Commandeur juste avant sa mort.
Précisions sur les organismes successifs chargés des parachutages et réception des agents dans notre région
Paul Rivière (SIF bis) est l’assistant de Raymond Fassin, chef du Service des Opérations Aériennes et Maritimes (SOAM) pour R1 (alias SIF). C’est à Lyon que débute le SOAM avant de s’étendre sur tout le sud (Toulouse, Lyon, Clermont-Ferrand) tout en gardant son état-major à Lyon. Janvier 1943 : SOAM devient le Centre d'Opérations de Parachutage et Atterrissage (COPA) : Fassin garde la direction nationale, Rivière reste responsable R1. Le 17 juin Fassin est rappelé à Londres, Bruno Larat parachuté en février 1943 devient responsable COPA ; Arrêté en Juin avec J. Moulin, en juillet le COPA devient le Service Atterrissage Parachutage (SAP). P. Rivière est désormais responsable SAP et officier d’opérations R1 sous le nom de Galvani avec Geneviève Fassin, alias Janick et Pierre Ulmer, alias Député comme adjoints.
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Sources, bibliographie et webographie
Photo fournie par Claude Alexis Rivière
Service historique de la Défense, Vincennes GR 28 P 11 38
Service Historique de la Défense, Vincennes, dossier GR 28P 4 456 / 114 // concordance GR 16P 182749
Fonds Geneviève et Paul Rivière au Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon
Relations épistolaires de Geneviève Rivière avec Cécile Bergerot, l’une des Demoiselles du Château de Villevieux (Jura). Voir l'article qui leur est consacré sur mon site Les Soeurs Bergerot.
Courrier de proposition au préfet du Jura en 1972, alors qu’elle est chargée de mission au cabinet du Premier Ministre, pour la Légion d’honneur.
Alban Vistel, « La nuit sans ombre », Fayard, 1970 (10 pages consacrés aux époux Rivière)
http://www.francaislibres.net/liste/fiche.php?index=64981
https://www.ordredelaliberation.fr/fr/compagnons/paul-riviere