NADEGE BERAUD KAUFFMANN

HISTOIRE

Flora Saulnier, "une des plus belles figures de la résistance"

1903-1994

Durant la Seconde Guerre mondiale, des cafés et des hôtels sont utilisés comme boîtes aux lettres ou comme cachettes, pour du matériel parachuté et des fugitifs. Lieux de sociabilité par excellence, ils abritent également des rendez-vous et des réunions de partisans, qui peuvent ainsi discrètement se fondre dans la masse de la clientèle des habitués.

Flora Hortense Planchamp est née le 17 février 1903 à Armoy, non loin de Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) où son père, Jean-François, et sa mère, Angélique Jeannette Brouze, sont cultivateurs. En 1933 à Nice, elle se marie avec Albert Jean-Marie Saulnier. Puis, les époux s’installent en Haute-Savoie, dans le Vieil Annecy, où ils ont acquis l’Auberge du Lyonnais, un établissement de renommée situé à l’angle de la rue de la République et du Quai de l’Évêché, au bord de la rivière Thiou. Tous deux sont membres de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) et ils font partie de ceux qui s’opposent au vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain et à l'Armistice de 1940.

Flora Saulnier, née Planchamp,

date inconnue

Dès le mois d’octobre 1941, ils intègrent Combat, un mouvement de résistance fondé l’année précédente en zone libre par Henri Frénay et Bertie Albrecht, et qui s'appelle dans un premier temps Mouvement de libération nationale. Leur activité officielle de restaurateurs facilite la participation à la résistance de Flora et Jean-Marie. Ils organisent un véritable service de diffusion de la presse clandestine, en liaison avec plusieurs mouvements de la Résistance intérieure, qui publient chacun leur propre journal : Combat dont ils font partie, mais aussi Libération et Franc-Tireur. Il s’agit de récupérer les numéros, de les acheminer dans des lieux sûrs de stockage avant de les distribuer, ou bien de trouver des personnes de confiance pour le faire. En 1942, malgré les risques encourus, les activités clandestines du couple s’étoffent : ils se chargent alors du ravitaillement de plusieurs maquis, dont celui de Thorens-Glières, situé à une vingtaine de kilomètres au nord-est d'Annecy. Flora collecte des denrées, des vêtements ou du matériel qu’elle fait expédier en camionnette aux Maquisards. Cette tâche prend de l’ampleur quand les rangs des partisans grossissent, avec l’arrivée de réfractaires à la Relève1 et au Service du Travail Obligatoire (STO). Instituée dès septembre 1942, la Relève est ensuite remplacée par le STO, instauré par les autorités collaborationnistes le 4 septembre 1942 et le 16 février 1943. 

Auberge du Lyonnais à Annecy, cliché figurant dans un numéro de Voix & Visages daté de mai-juin 1981.

L’auberge du Lyonnais devient une véritable plaque-tournante de la résistance Annécienne

Après le débarquement allié en Afrique du Nord, les Allemands envahissent la zone libre de la France. Mais une partie du sud-est, allant de la Haute-Savoie au nord, vers la Corse au sud et jusqu’au fleuve Rhône à l’Est, est laissée aux Italiens. Être résistant devient plus dangereux encore mais la lutte ne cesse pas pour autant, au contraire. La patronne de l’Auberge du Lyonnais est aussi, à partir de décembre 1942, la secrétaire en chef du Noyautage des Administrations Publiques (NAP2), organisation créée par le mouvement Combat dans le but d’infiltrer les services de l’État français. À partir de 1943, son établissement sert de boîte aux lettres et elle s’occupe également de centraliser le courrier clandestin, qu’elle ventile ensuite entre les chefs de l’Armée Secrète (AS) et ceux des Mouvements Unis de la Résistance (MUR) - deux structures issues des trois mouvements déjà cités Combat, Libération et Franc-Tireur -. Elle est agent P2, un agent permanent de la résistance et rémunéré. La grande salle-à-manger de l’Auberge des Saulnier est devenue un lieu de réunion des chefs régionaux et nationaux de la Résistance intérieure et espagnole. La partie hôtelière permet d’héberger les membres des États-Majors après les conciliabules, mais aussi des agents secrets de passage, des fugitifs, des réfractaires en partance pour le maquis, des républicains espagnols… ce qui n’est pas sans attirer l’attention des autorités. Après le 9 septembre 1943 et l’Armistice de Cassibile signé avec les Alliés, les Italiens partent et à leur place, les Allemands se révèlent beaucoup plus actifs dans la lutte contre la Résistance que ne l’étaient leurs prédécesseurs. 
Le 21 novembre 1943 des résistants et saboteurs dont Lucien Mégevand - alias Pan-Pan, chef du secteur AS de Rumilly et responsable départemental de la SAP (Section Atterrissages et Parachutages) - boivent un verre à l’Auberge du Lyonnais. Ils y apprennent que leur opération très risquée de la veille a partiellement échoué : l’usine de roulement à billes Schmidt Roost Oerlinken (SRO), réquisitionnée et produisant des pièces pour l’industrie de guerre allemande, notamment des éléments indispensables aux chars, fonctionne encore ! L’échec du bombardement par l’aviation alliée le 11 novembre, qui avait causé de nombreux morts et des destructions dans le quartier de Loverchy, avait décidé la résistance locale à prendre les choses en main. Un nouveau sabotage est programmé le 14 décembre, et sera cette fois plutôt réussi3

 

Arrestation et déportation, n° de matricule 35466
Quelques jours après, dans l’après-midi du 23 novembre vers 15h30, Flora reçoit la visite de Robert Jaccaz, agent de liaison et de renseignement travaillant pour la SAP, venu rencontrer son mari. Alors qu’elle s’entretient avec lui pour l’informer de l’absence de ce dernier, qui se trouve alors à Lyon, un cri retentit : la Gestapo est annoncée dans le quartier. Les habitués s’évaporent, Robert aussi, mais dans la précipitation, il oublie sa sacoche contenant des documents compromettants. Flora, s’en apercevant, tente de la cacher. Il est cependant trop tard et Robert Jaccaz sera appréhendé lorsqu'il reviendra la chercher. Après avoir été interrogée par l’officier-interprète Gromm sur son mari, elle est arrêtée puis emmenée à la prison d’Annecy. Là-bas, elle parvient à se procurer du papier et un crayon qu’elle utilise pour écrire à sa belle-mère, afin de l'informer de son arrestation et lui demander de prévenir Jean-Marie. Elle confie la lettre à un gendarme français, qui accepte de la transmettre. Le lendemain, elle est transférée à la prison du Pax à Annemasse avant d’être conduite à la prison Montluc de Lyon, le 29 janvier 1944. Jamais elle ne trahira ses collègues résistants, malgré les rudes interrogatoires accompagnés de tortures. Elle est ensuite emmenée au fort de Romainville, en région parisienne, avant d’être déportée en Allemagne le 18 avril, numéro de matricule 35466. Elle séjourne dans plusieurs camps de concentration dont Ravensbrück, un camp situé au nord de Berlin et réservé aux femmes, où elle arrive le 23 mai. Après avoir reçu sa tenue de prisonnière, elle est affectée à des travaux de couture. Elle travaille douze heures par jour, dans des conditions d’hygiène terribles, sans pause, sans manger à sa faim, qu’il fasse froid ou non, et qu’elle soit malade ou non. Au début de l’année 1945, l’avancée des Alliés et des Russes en Allemagne donne de l’espoir à tous les prisonniers des camps. Flora Saulnier est libérée le 23 avril 1945, soit près d’un an après son arrivée. Emmenée en Suède par la Croix-Rouge, elle est enfin rapatriée le 1er juillet suivant. 

 

Le retour à la vie d’avant, avec de graves séquelles
Le retour est difficile : affaiblie, avec de très graves séquelles physiques et psychologiques, elle découvre son auberge pillée. Mais elle a la joie de retrouver son mari, rentré quelques mois auparavant, à la Libération. Après avoir échappé à la Gestapo, il avait fui du côté de l’Isère et de l’Ain afin de poursuivre la lutte. Tous deux reprennent leurs activités hôtelières avant de se retirer à Anthy-sur-Léman pour leur retraite. En 1963, Madame Saulnier fait constater ses infirmités au Centre de réforme du Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, en région parisienne. Outre différents troubles internes, une sclérose pulmonaire, des rhumatismes et de l’arthrose, elle est atteinte du syndrome de Targowla : il s’agit d’un type de névrose traumatique de guerre qui a particulièrement affecté les anciens déportés, provoquant de la fatigue accompagnée de troubles de mémoire, du sommeil et du caractère, une hypermnésie4 émotionnelle et des angoisses. 


Titulaire de la Médaille de la Résistance en 1946 et de la Croix de Guerre en 1949, elle se voit conférer un grade de sous-lieutenant des Forces Françaises Combattantes. Membre active de l’Association Nationale des anciennes Déportées et Internées de la Résistance (ADIR), elle accueille à l’Auberge du Lyonnais, l’automne 1964, la rencontre interrégionale de l’ADIR. Présidente d’honneur de la Fédération Nationale des Déportés, nommée officier de la Légion d’Honneur en 1972. Flora Saulnier décède en août 1994 à l’âge de 92 ans. 

 

« Avec son mari, premier organisateur des mouvements de résistance dans l’arrondissement d’Annecy, a joué un rôle important dans la Résistance de Haute-Savoie » ; « Dévouement sans limite » ; « conduite exemplaire dans les différents camps de concentration où elle a séjourné » ; « une des plus belles figures de la Résistance de Haute-Savoie ».
Extraits de la citation de Flora Saulnier pour la Médaille de la Résistance, grade homologué : sous-lieutenant FFC

1 La « Relève » consiste en l’envoi de travailleurs spécialisés en Allemagne en échange de prisonniers français qui, libérés, peuvent rentrer au pays.

2 On trouvait des agents du NAP à la Préfecture, à la police, dans les chemins de fer, à EDF et aux PTT.

3 Les Alliés, souhaitant un arrêt total de la production, organiseront malgré tout un nouveau raid dans la nuit du 9 au 10 mai 1944, qui causera à nouveau de nombreux morts et dégâts alentours.

4 Dans le cadre du syndrome de Targwola, l’hypermnésie est la résurgence répétitive et angoissante de rêves, accompagnés de sursauts et de la remémoration de scènes tragiques.

 

 

Sources et bibliographie

Dossier Service Historique de la Défense à Vincennes, n° 16 P 481 071

Archives départementales de Haute-Savoie, acte de naissance de Flora Planchamp, 4 E 3682

Voix & Visages, journal de l'Association des Anciennes Déportées et Internées de la Résistance, n°175, mai-juin 1981

https://souvenir74.fr/figures/saulnier-flora/ 

ordredelaliberation.fr